L`île de Cayenne - Paysages de Guyane
Transkrypt
L`île de Cayenne - Paysages de Guyane
L’île de Cayenne Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 117 VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane Fig. 344 : Bloc-diagramme de synthèse de l’unité paysagère Agglomérations diffuses Pont offrant des points de vue remarquables sur l’estuaire Infrastructures aéroportuaires marquantes Mangrove constituant un écran boisé sur les rives Marais et zones humides Etalement urbain aggloméré autour du cœur ancien de la ville Zones d’activités ponctuant le paysage de leur échelle importante Canaux et criques induisant le caractère insulaire Fort Cépérou repère de la veille ville Perspectives sur un front de mer peu valorisé, voire confidentiel, ou sur les monts boisés Pointes marquant des repères forts sur la côte urbanisée Anse aux ambiances océaniques intimistes occupée par des vasières ou une mangrove plus ou moins jeune Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 118 Ville coloniale caractérisée par son plan orthogonal ouvrant des perspectives sur le front de mer ou les monts boisés. VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane ...Cayenne est cette ville équivoque et bâtarde, Édifiée toute entière pour le plaisir de voir, Toute une architecture de jalousies, Persiennes, balcons et vérandas, Et cela tout au long du jour Qui s’aurore à chaton et tombe à Cépérou, Tout au long de la nuit… Serge PATIENT, Poème 5 extrait de “Guyane pour tout dire” Tiré du livre “Le Nègre du Gouverneur “ Maison guyanaise Un océan de planches ridées par le soleil, Des vagues de peintures mourantes où dérivent des îlots perdus, Clous rouillés, grains de beauté d’un corps jadis séducteur, Témoins de tempêtes tourmentées et d’embellies orageuses… Une fenêtre s’ouvre sur le monde, Une ombre traduit la pudeur d’un édifice, Un rayon de soleil illumine la bâtisse de ses reflets timides : C’est un mur qui vit, un visage qui s’exprime, une histoire qui déteint… La rue accueille mes pas et je me dirige vers ce livre ouvert… Un plancher malin, un toit protecteur, une poignée coquine… J’ose a peine surprendre les parties de ton corps qui se dévoilent à mon regard… Effleurer tes souvenirs, découvrir ton coeur… Reste belle, maison guyanaise, symbole d’une créolitude raffinée, garde ta fierté, ta sérénité, car même si aujourd’hui on t’abandonne, tu resteras à jamais la Dame de Cayenne. Lionel PASQUIER Auteur, poète, parolier Localisation de l’unité paysagère Limites et continuités paysagères de l’unité Cette unité paysagère est géographiquement découpée par des limites d’eau qui font de ce territoire une île : Une ouverture sur l’océan au nord : cette ouverture est toute relative au regard de la dynamique des mangroves qui vient régulièrement enchâsser la frange nord de la ville dans une forêt de palétuviers. Ce littoral est peu mis en valeur Fig. 348 : Vue sur l’estuaire de Cayenne, en arrière plan, le Grand Matoury La limite sud est beaucoup plus discrète. Elle est marquée par la rivière du tour de l’île qui relie la rivière Cayenne au Mahury. Elle se distingue surtout par l’épais cordon de mangrove qui compose sa ripisylve. Fig. 346 : Une limite nord ouverte sur l’océan (vue de la Place des Amandiers Des limites est et ouest constituées par les estuaires du Mahury et de la Rivière Cayenne : subissant l’effet des marées, ces derniers sont en général ourlés d’un cordon de mangrove stabilisée qui forme souvent un écran depuis la berge constituant ainsi une limite paysagère lisible. Cependant la présence de quelques points de vues (notamment depuis les zones portuaires ou des dégrads) offre de larges panoramas remarquables ouverts sur l’océan ponctué d’îles boisées au large. Fig. 349 :La rivière du Tour de l’île Les anciens cartographes ont donné certainement beaucoup plus d’importance à la rivière du Tour de l’Ile faisant de Cayenne une île presque déconnectée du continent. Il reste de ces errances cartographiques la véritable identification territoriale de l’Ile de Cayenne. Fig. 347 : Estuaire du Mahury Fig. 345 : Carte de localisation de l’unité paysagère de l’Ile de Cayenne Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 119 VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane Structure paysagère identitaire Un site d’ancrage de géomorphologie singulière la ville lié à une Le contexte littoral dans lequel s’inscrit le territoire de Cayenne constitue en fait le seul endroit sur le littoral entre l’Amazone et l’Orénoque à présenter une côte rocheuse. La présence dans ce secteur d’une émergence du socle géologique ancien offre une configuration singulière liée à des phénomènes d’altération différentielle. Ainsi on observe un véritable étagement de monts depuis les plus hauts (la table du Mahury, le Grand Matoury) au plus petit constitué par le Mont Cépérou. Ces Monts boisés ont constitué autrefois des repères importants pour les explorateurs venus d’Europe ; ils marquent aujourd’hui l’espace de la ville et en identifient même les quartiers. Des paysages jouant sur la planéité des marais Diversité des paysages littoraux et estuariens En dehors de ses monts coniques ou tabulaires, l’île de Cayenne se distingue par sa relative planéité. En fait un vaste chevelu hydrographique baigne des zones marécageuses où l’on retrouve souvent les ambiances ouvertes des vastes pripris littoraux cloisonnés par des bosquets d’arbres de zones humides d’où se détachent les palmiers bâche. Ils prennent d’ailleurs des configurations spécifiques sur les zones rétro-littorales en se mêlant à la mangrove comme aux Salines de Montjoly. Ce sont véritablement ces zones planes qui ont servi de matrice à l’installation des exploitations agricoles de colons et aujourd’hui de la ville. Ces marais constituent ainsi des zones de respiration formant des limites naturelles entre les quartiers. Leur caractère « sauvage » contraste d’ailleurs fortement avec leur périphérie urbaine installée sur les zones exondées. La combinaison des basses terres planéiformes et zones rocheuses des monts ou des pointes avec les courants fluviaux et océaniques offre naturellement une certaine complexité de la configuration du trait de côte et donc de paysages littoraux. Si l’on ajoute les dynamiques côtières liées aux déplacements des bouchons vaseux amazoniens sur le littoral guyanais, cela renvoie à la grande variabilité des paysages côtiers de l’île où vont alterner les périodes d’envasement qui, outre une abondante avifaune, favorisent l’extension des mangroves masquant l’océan et les périodes d’érosion qui ouvrent la vue sur l’océan en dégageant les cordons sableux des plages (voire même en attaquant le trait de côte menaçant l’urbanisation sur ces secteurs comme à Rémire Montjoly). Fig. 352 : Les marais rétro-littoraux des Salins de Montjoly Fig. 350 : Représentation schématique des paléosurfaces étagées liées à l’altération latéritique différentielle.(Source BRGM) Mont Montabo Fig. 353: Érosion de la côte à Rémire Montjoly Mont St Martin Mont Bourda Mont Lucas Mont Cabassou Table du Mahury Montagne du TigreOutre ces phénomènes dynamiques qui changent radicalement la perception de la côte, sur le littoral de l’île de Cayenne se Montravel distinguent ainsi : Maringouins Les pointes rocheuses qui alternent avec de petites anses. Elles correspondent à des émergences du socle ancien ou comme à la pointe Buzaret à des filons volcaniques qui ont fracturé le socle ancien de la Guyane lors de la formation océanique. Ces pointes constituent des petits promontoires naturels qui offrent des vues remarquables sur les anses dominées par le mont Montabo. Elles sont aménagées d’allées et de bancs et constituent des lieux de détente et de contemplation appréciés des Cayennais. Il est regrettable cependant qu’un sentier côtier clairement aménagé ne relie pas ces sites remarquables ou que les quelques aménagements littoraux des anses soient vétustes voire dangereux. Fig. 351 : Vue arienne sur l’île de Cayenne et ses monts Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 120 VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane Palmier Moucaya Arbre à Boulets de canon Agaves Philodendrons Fig. 354 : Pointe Buzaré et Mont Montabo depuis Amandiers la Pointe des Les falaises et côtes rocheuses Plusieurs Monts de Cayenne baignent directement dans l’océan créant un contact de falaise rocheuse original pour la côte guyanaise. Cette configuration compose des paysages uniques en mettant directement en relation la forêt avec l’océan (sans passer par les intermédiaires habituels de la vasière, la mangrove et les savanes). La face océanique de ces monts revêt une végétation particulière adaptée aux embruns et à l’absence de sol sur cette base rocheuse : les cypéracées, les agaves et cactus cierge aux silhouettes graphiques, les philodendrons épiphytes qui colonisent les roches, les palmiers Moucaya au port caractéristique et les arbres à boulets de canon au fruit évocateur… L’ensemble compose une mosaïque de textures et de couleurs végétales qui cadrent des fenêtres en belvédère sur l’océan où pointent les îlets de Rémire. Fig. 357 : Plage de Montravel Fig. 356 : Les falaises de Montravel, recouvertes de végétation Les cordons dunaires Entre les monts et les pointes rocheuses s’étirent de vastes cordons dunaires qui constituent de longues plages sableuses qui deviennent périodiquement des zones de ponte pour les tortues. Ces plages sont, par ailleurs, très prisées pour la baignade. Cadrées par les monts qui dessinent l’horizon elles offrent une vue panoramique sur l’océan. Elles sont recouvertes d’une végétation caractéristique qui tranche littéralement avec celle de la forêt ou des marais en arrière : le sable est recouvert d’un tapis fleuri composé d’ipomées et de haricots plage, les buissons de dodonée visqueuse et d’indigo poilus suivent la dune, déformés par le vent et les cocotiers et awara ponctuent les vues sur l’océan. Plus en arrière, les graminées recouvrent la dune et des bosquets plus importants d’alamandas, cordia broméliacées et quelques cajous, découpent l’espace et sont parfois accompagnés d’arbres à boulets de canon ou d’encens. Ces bosquets prennent une forme couchée par le vent qui leur donne souvent un caractère pittoresque. Fig. 358 : Séries végétales dunaires sur la plage des Salines Fig. 359 : Tapis végétal de graminées, ipomées et haricots plage Les mangroves d’estuaires Sur les estuaires, les vases charriées par les fleuves et les effets moins prononcés des courants marins permettent à la mangrove de se stabiliser. Ainsi, sur ces secteurs la persistance de cette forêt d’estuaire permet à d’autres espèces de s’installer progressivement et à la faune de s’y développer. L’ensemble constitue donc une masse végétale dense qui ferme souvent les vues, pourtant spectaculaires, sur les embouchures sauf au niveau des percées que constituent les dégrads ou les ports.. Fig. 355 : Falaises de Montravel Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 121 VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane Fig. 360 : Mangrove colonisée par les épiphytes sur la rivière Cayenne Fig. 362 : Fort Cépérou, belvédère sur la ville et l’estuaire de Cayenne Du territoire amérindien à l’île coloniale L’île de Cayenne comme le reste de la Guyane comporte de nombreuses traces de l’occupation ancienne du territoire par les amérindiens. Les éléments les plus visibles sont notamment les roches gravées. Fig. 363 : L’habitation créole rurale et la maison de maître, matrice du logement guyanais (R. Auburtin) Progressivement c’est toute l’île de Cayenne qui voit son paysage se « ruraliser » par l’extension des habitations et des plantations travaillées par les esclaves. Les canaux sont creusés et les marais assainis et poldérisés. Ce caractère agricole persiste encore aujourd’hui dans de vastes zones d’abattis ou de cultures rationalisées sur le sud de l’île. Fig. 361 : Roche gravée du dégrad de Cannes Avec l’arrivée de La Ravardière en Guyane en 1604 commence la colonisation avec notamment, comme tête de pont, l’île de Cayenne qui se verra protégée de plusieurs places fortes. Ainsi débute un immense métissage qui verra dans un premier temps le fort déclin des populations amérindiennes. Le noyau de l’habitat et de l’administratif s’organise autour des contreforts du fort Cépérou et rayonne sur tout le territoire de l’île par le biais des habitations. On retrouve encore aujourd’hui dans les rues courbes de ce secteur les tracés originels de ce qui allait devenir Cayenne. En axant son économie sur la plantation, l’ère coloniale semait les bases de sa ruralité, créant ainsi une société essentiellement campagnarde. L’habitation devint « le noyau, la cellule de base et de la production et de la vie sociale »3. Alors que la ville ne regroupe que les fonctionnaires affectés à la colonie du royaume, sa garnison et les entrepôts des planteurs, l’espace rural est, quant à lui, le creuset de la société créole naissante. Cet espace rural, représentatif de la puissance d’un particulier, le Maître, et l’espace urbain où ce dernier dispose d’une parcelle avec maison de ville et entrepôt pour traiter ses affaires, où sont également visibles les marques du pouvoir colonial, ces deux espaces constituent conjointement le référent de l’imagerie architecturale. Dans l’habitation, la maison du Maître représente pour le groupe des esclaves l’idéal presque inaccessible de l’habiter, eux qui vivent dans le village des cases nègres (ill. 58). De plus, elle se situe toujours sur les hauteurs, dans le lieu le plus sain du terrain. Bâtie sur promontoire, elle domine ses terres. Elle est dotée d’un plancher à vide sanitaire, souvent d’un étage, quand les cases des esclaves, sommairement construites par eux-mêmes n’ont qu’un sol de terre battue, des murs non hermétiques et un toit de palmes. La maison du maître dispose d’une galerie périphérique, quand la case de l’esclave n’a guère qu’une porte s’ouvrant sur la terre, sans même un porche, leurs cloisons laissent entendre les bruits du voisin. Le Maître s’en va en ville traiter ses affaires dans un univers qui, aux yeux de quelques esclaves qui pourront le suivre, constitue le reflet de la civilisation. Là, dans l’ordre d’un plan de rues droites et orthogonales, ce ne sont que fières bâtisses, celles des fonctionnaires de la colonie, celles des riches commerçants, celles des planteurs aisés. Ces trois espaces, la maison du Maître, la case nègre et la ville coloniale, en strates déposées dans les esprits des générations successives d’esclaves, d'affranchis, de mulâtres, de libérés, donc de la société créole toute entière, constituent donc les bases de l’inconscient architectural. Atteignant une certaine cohésion dans la vision du monde d’habiter, à la faveur d’images des éléments architectoniques se regroupant peu à peu, la société créole a constitué ainsi son inconscient urbain collectif. R. Auburtin (extrait de thèse de géographie) Description d’une habitation par Malouet à la fin du XVIIIème siècle : « Là, sur une éminence, j’aperçois un hameau au milieu duquel s’élève la maison du maître et sa manufacture. Plus loin, les plantations de cannes, de caféiers, de cacaotiers, une allée de canneliers, entremêlés de grands ananas, des touffes de bananiers, une haie de citronniers formant l’entourage de la savane (pâturage) et les grands arbres de la forêt terminent ce beau paysage. (…) Un jardin garni de fruits et de légumes, une basse cour bien pourvue, une abondance de poissons, de gibiers, annonçaient la bonne chère qu’on nous destinait ; et la sérénité, l’air robuste et satisfait des nègres me prouvaient aussi que chacun participait à l’aisance du maître. » Fig. 364 : Canal de la Crique Fouillée Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 122 VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane Un paysage urbain tramé circonscrit Fortes des échanges commerciaux générés par les productions des habitations, le centre administratif de Cayenne caractérisé par ses bâtiments exprimant le pouvoir (préfecture…) va se développer et ce, sur la trame orthogonale coloniale classique qui s’étire dans l’enceinte décrite par le canal Laussat. La ville est résolument tournée vers son port qui constitue l’un des principaux centres de vie avec la place du marché ainsi que les espaces publics repères comme la Place des palmistes (marquée par son majestueux mail de palmiers royaux) et l’église. « L’espace urbain, longtemps aménagé comme une place forte dont le rôle majeur est la protection de l’arrière-pays, constitue l’ensemble administratif de la colonie. Cependant cet espace a un autre rôle, notamment du site de Cayenne avec sa rade, ses installations portuaires, celui de faire transiter les marchandises, à l’export. Il était logique qu’il exigeât une certaine protection. Comme il était logique que la population productrice, maîtres planteurs et esclaves, résidât sur les lieux de production. Dans le processus de la colonisation, qui fait table rase de toute civilisation autochtone, le plan orthogonal inspire l’ordre, l’équité, mais également le pouvoir tutélaire. La trame orthogonale permet avant tout le contrôle militaire de la place ; mais en temps de paix, elle offre la possibilité d’une extension aisée par prolongation des voies suivant les mêmes axes, puisque, par principe colonial, la terre alentours est propriété du royaume tutélaire. Dans une telle trame, la répartition équitable des parcelles peut-être envisagée, permettant aux marchands de s’installer, et aux colons de prendre leurs quartiers urbains. L’ordre, à l’intérieur de ces quartiers est nécessaire au fonctionnement du système économique d’une colonie basé sur la production des plantations. S’adaptant à cette trame urbaine, la moindre maison coloniale de cette époque est bâtie selon le principe immuable du damier qui consiste à aligner des pièces plus ou moins carrées et de les entourer d’une large galerie périphérique de même largeur sur chacun des côtés. Desservant toutes les pièces, la galerie périphérique est une adaptation inversée du casernement européen ; la fonction distributrice du couloir est enrichie d’une fonction supplémentaire de protection contre la pluie et le soleil. La distribution de l’espace qui en découle passe par une succession de cloisonnements. Nous séparant progressivement les secteurs extérieurs publics et les espaces privés des zones intérieures privées et inaccessibles à un étranger à la famille. Si la transparence de la maison s’offre à l’œil, la façade sur rue est l’antithèse de la façade sur cour, espace fermé, jalousement protégé. Ce sont deux espaces dos à dos que séparent les pièces plus ou moins publiques, suivant une hiérarchie en rez-de-chaussée d’une part, et les pièces rigoureusement privées en étage. Pour matérialiser cette opposition, la galerie est renvoyée sur la cour, espace mixte où l’on accueille le visiteur autorisé par le biais du corridor latéral, et qui lui permettra l’accès à la demeure. La maison créole urbaine ne développe que des formes en parallélépipède offrant des façades où règne l’orthogonalité. Seules concessions à la courbe, les liens assurant la rigidité des structures bois, créant en galerie le vague aspect de quelque arcade, mais aussi les garde-corps en lames de bois ouvragées aux fenêtres, et les balustrades et consoles en fer forgé des balcons. La maison créole est le produit d’une transformation complète de la construction à colombage très présente en Normandie et en Alsace, d’où venaient précisément les premiers colons. Aidés essentiellement par les charpentiers navals, artisans, inconditionnellement embarqués dans la conquête coloniale, ces maisons prennent vite les touches des techniques de construction de bateaux, mais très vite, au métissage technique, s’ajoutent le métissage culturel et le mélange ethnique. R. Auburtin (extrait de thèse de géographie) La ville coloniale de Cayenne livre donc un paysage urbain avec deux sens de lecture : La rue rectiligne qui lance de longues perspectives se terminant souvent sur les éléments naturels du contexte paysager de la ville (monts boisés, littoral, crique ou canal…). Elle aligne les maisons créoles à un étage qui se succèdent, se touchant à peine de leur porche, ou laissant entrevoir par-dessus la clôture le feuillage d’un arbre. L’ensemble donne un gabarit de rue équilibré, ventilé grâce à l’orientation est/ouest de la trame. Seuls les jeux de toitures, les variations de couleurs des façades et le rythme des ouvertures animent la cimaise des façades qui longe l’espace public de la rue (aujourd’hui encombré par les véhicules). Le jardin constitue au cœur de l’îlot urbain un élément important dans l’organisation de l’habitat traditionnel. Il regroupe en effet de nombreuses fonctions : lieu de culture de fruits, de plantes médicinales, aménagement de systèmes de récupération d’eau de pluies, parfois d’une basse-cour. C’est un lieu refuge, qui accueille la vie intime de la famille ; les pièces d’eau et la cuisine y sont disposées au sein d’un bâtiment annexe. Les terrasses et les galeries s’ouvrent sur cet espace, qui, ombragé par des feuilles de tôles ou l’ombre d’un arbre, deviennent le lieu privilégié de la quotidienneté. Enfin, autrefois, il était aussi porteur d’un lien social fort entre voisins : les parcelles communiquaient souvent entre elles, via l’aménagement d’accès privés et partagés en fond de cours. Vue d’en haut Cayenne apparaît donc comme une ville verte. Ainsi organisées, les constructions traditionnelles créoles ont composé, du XVIIIème jusqu’au milieu du XXème siècle, la totalité du tissu urbain à Cayenne. Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 123 Fig. 365 : Vue actuelle de la rue Leopold Héder, Cayenne Fig. 366 : Détail du plan d’organisation des îlots urbains et leur cœur vert (dessin Yasimine Vautor) VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane les zones résidentielles. Un peuplement plus populaire investit les îlots et les densifie parfois, constituant des poches d’habitat précaire, voire même insalubre. Les espaces publics, rues, trottoirs places et squares, si peu nombreux soient-ils, n’évoluent plus et deviennent vétustes. Pendant que l’agglomération s’étale de manière anarchique, sans repères, la ville coloniale perd de son lustre et le déplacement du port en fait définitivement un cul de sac. Cette évolution s’accompagne par ailleurs d’une croissance démographique forte qui se traduit dans l’espace par un développement important des quartiers spontanés, jalonnés par un habitat autoconstruit. Ces quartiers s’implantent de manière organique sans véritable logique si ce n’est celle de suivre le terrain. La précarité de certaines populations se traduit également au travers de la formation de bidonvilles insalubres où la forte densité d’habitations autoconstruites compose un enchevêtrement labyrinthique de ruelles et couloirs sombres. Ces extensions sont marquées par la pluriethnicité qui caractérise la Guyane et plus particulièrement l’île de Cayenne. Le fonctionnement social et spatial tient d’ailleurs plus souvent de la mosaïque culturelle que du melting-pot parfaitement métissé. 1821-1864 1753-1821 1677-1753 Avant 1677 Fig. 368 : Evolution de Cayenne depuis sa fondation (Y. Vautor) Fig. 367 : Plan type de la maison créole (R. Auburtin) Une explosion de l’identité urbaine à partir de la départementalisation L’identité urbaine coloniale se maintient et s’étend peu en surface. Jusqu’aux années 1950 le centre ville est symbole de l’habitat bourgeois et d’une population intermédiaire composée de fonctionnaires, de cadres moyens. Les campagnes et les autres communes sont dévalorisées, stigmatisées par la pauvreté sociale et professionnelle et par sa « dangerosité ». Tous ceux qui n’appartiennent pas à la ville sont mis à l’écart : les populations marginalisées sont maintenues en périphérie de la ville. Les espaces sont ainsi hiérarchisés dans le sens d’une distanciation sociale, qui fait souvent écho à une hiérarchisation ethnique d’ouvriers et d’employés d’origine rurale ou étrangère. En résulte une opposition, centre/périphérie, qui n’existait pas alors. Arrive en 1946 la départementalisation et avec elle, l’idéologie d’une forme de progrès caractérisée entre autres, par des conduites d’hyperconsommation. Ainsi s’opèrent des changements dans les « conceptions traditionnelles du confort et des loisirs » : le besoin d’espace au sein et autour de l’habitation, la nécessité de pouvoir s’isoler des autres, deviennent des enjeux déterminants dans le développement urbain de la ville et de ses banlieues. Une part importante des ménages aisés ainsi que la frange haute de la classe moyenne investissent en périphérie de la ville dans la construction de nouvelles résidences suivant la typologie du lotissement, symbole d’une ascension sociale. Suite à ces migrations périurbaines et à un exode rural fort se développent les bourgs voisins de Montjoly et Rémire. Un nouveau paysage urbain résidentiel se constitue par logiques d’opportunités foncières et se développe le long des axes principaux de circulation. L’organisation en arrête de poisson de ces quartiers, même si elle maintient les ambiances de rues rectilignes (d’où les façades ont disparu derrière les clôtures), ne favorise pas la mise en relation des quartiers. Le développement se fait donc de manière exponentielle par tâches de grandes surfaces sans véritable relation les unes avec les autres si ce n’est par la voie principale qui les a fait naître. De même, la trame urbaine de la ville coloniale se disloque : considérées comme inadaptées aux modes de vie moderne, les maisons créoles se vident et les jardins ou cours de cœurs d’îlots se cloisonnent. Elles sont remplacées souvent par des immeubles de 4 à 5 étages qui changent l ‘échelle du paysage de la rue et la structure urbaine de fonctionnement de l’îlot (remplaçant le jardin par un parking). La ville centre, si elle concentre toujours les services, les commerces et les emplois administratifs, qui sont progressivement délocalisés en périphérie, voit un changement significatif dans la structure sociale de ses habitants. Les classes les plus aisées préfèrent habiter dans Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 124 Parallèlement, les zones d’activités se développent sur les axes principaux, emboîtant leurs volumes bâtis en enfilade derrière des aires de stationnement ou des zones de stockage. Ils constituent les nouvelles portes d’entrée de l’agglomération, qui se banalisent derrière les façades commerciales et les enseignes qui jalonnent la route. Ces logiques d’extensions cloisonnées organisées en collier de perle le long des axes principaux tendent à congestionner l’agglomération et la perte des repères urbains se traduit parallèlement par une banalisation des paysages cayennais. L’insularité de ce territoire marque donc des contraintes de fonctionnement très fortes qui posent à la fois les questions de centralité, repérage et engorgement. Fig. 369 : Cayenne depuis les toits VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane Sous-unités paysagères En résumé : L’île de Cayenne constitue un site d’ancrage privilégié qui, par sa configuration géomorphologique, combine naturellement presque toutes les caractéristiques des paysages guyanais. En cela l’île de Cayenne est un véritable kaléidoscope des composantes paysagères guyanaises. On y retrouve ainsi : Un littoral, rythmé par le passage de la mangrove, riche de sa diversité qui va des plages sableuses aux falaises rocheuses. Des monts boisés remarquables qui constituent des repères paysagers identifiables à leur silhouette et des sanctuaires naturels donnant un aperçu de la biodiversité forestière amazonienne. Ils constituent par ailleurs des points de vues intéressants sur l’île et son littoral. Des marais et criques qui ouvrent l’espace sur de larges perspectives. Ils portent la marque de l’époque coloniale par les canaux de drainage et de communication qui y ont été creusés. Des paysages urbains qui reflètent l’histoire, le contraste et les métissages des peuples guyanais et qui, dans leur structure ou leur anarchie, s’étendent rapidement sur le territoire de l’île. Ils tendent à perdre de leur qualité notamment en ce qui concerne les espaces publics Des infrastructures qui, par leur déplacement et leur changement d’échelle, modifient sensiblement la perception des paysages de l’île en retournant complètement le sens de lecture et le fonctionnement des strates urbaines. Il y a donc, sur l’île de Cayenne, un petit morceau de chaque paysage de la Guyane, mais le déséquilibre croissant entre les paysages urbains et naturels, si étroitement liés sur cet espace contraint, pose la question de la perte progressive de ces identités qui peuvent pourtant amener la population urbaine à appréhender la richesse des paysages guyanais. Dislocation du modèle orthogonal avec les barres et immeubles Par sa configuration naturelle et par l’histoire de son développement urbain, l’île de Cayenne présente la particularité de répondre aux logiques de la géométrie fractale : Ainsi par définition, un objet fractal possède au moins l'une des caractéristiques suivantes : il a des détails similaires à des échelles arbitrairement petites ou grandes ; il est trop irrégulier pour être décrit efficacement en termes géométriques traditionnels ; il est exactement ou statistiquement autosimilaire, c'est-àdire que le tout est semblable à une de ses parties ; En fait les sous-unités paysagères de l’île de Cayenne répondent à un emboîtement d’échelles où l’on retrouve systématiquement toujours les mêmes éléments dans des proportions plus ou moins importantes : Un littoral ou une rive découpée en anses successives Des Monts boisés Une rive, un canal ou une zone marécageuse qui détermine une forme d’insularité Une trame urbaine plus ou moins dense Des points d’entrée limités Ainsi trois échelles de perception de ces éléments organisés dans les mêmes configurations permettent de discerner trois sous unités paysagères : L’île coloniale L’île agglomérée L’île monumentale Un modèle résidentiel en arrêtes de Poisson Ces sous-unités font l’objet d’une présentation sous la forme de planches graphiques (présentées ci après) résumant l’articulation et l’échelle des éléments précités. Des quartiers « spontanés » organiques Fig. 370 : TYPOLOGIES DE PAYSAGES URBAINS SUR L’ILE DE CAYENNE Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 125 VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane Fig. 371 : Vue aérienne de l’île de Cayenne à l’aplomb du Mahury Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 126 VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane L’île coloniale Des Monts boisés : Mont Fortifié de Cépérou dominant la ville coloniale Des points d’entrée limités aux traversées du canal Laussat L’un des points particuliers de la ville coloniale est de concentrer depuis longtemps les bâtiments administratifs, religieux ou de services. Outre l’attrait fonctionnel qu’ils constituent, ils offrent à la trame orthogonale monotone de la ville de précieux éléments de repères qui sont souvent relayés par des espaces publics d’intérêt (parce que rares). Fig. 374 : Vue de la face boisée du Mt Cépérou depuis le vieux port Une rive, un canal ou une zone marécageuse qui détermine une forme d’insularité : délimitation de la ville coloniale par le canal Laussat et le canal du village Chinois. Fig. 377 : « Place du coq », face au Marché de Cayenne Fig. 372 : Carte de la sous-unité paysagère de l’île Un littoral ou une rive découpée en anses successives : pointes rocheuses délimitant de petites anses régulièrement envahies par des vasières et la mangrove Fig. 373 : Vue de l’anse Nadau entre la Pointe des Amandiers et la Pointe Buzaret Fig. 375 : Canal Laussat Fig. 378 : Place de l’esplanade et Préfecture Une trame urbaine plus ou moins dense : ville coloniale dessinée sur une trame orthogonale orientée est/ouest ; patrimoine de maisons créoles intercalées avec des bâtiments plus récents moins identitaires et plus hauts Fig. 376 : Rue l’Alouette, alternant maisons créoles et immeubles récents Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 127 Fig. 379 : Mail de palmiers royaux sur la place des palmistes VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane L’île agglomérée Fig. 380 : Carte de la sous-unité paysagère de l’île agglomérée Des Monts boisés ponctuant la côte et offrant des promontoires sur les grandes anses et sur l’océan. Présence de monts marquant l’interface entre la présente sous-unité et celle de l’île monumentale Fig. 383 : Vue de l’anse de Montabo depuis le Mont Bourda Une rive, un canal ou une zone marécageuse qui détermine une forme d’insularité : vastes bandes marécageuses entre les Monts Fig. 384 : Marais de la crique Cabassou Une trame urbaine plus ou moins dense : quartiers résidentiels peu denses très développés qui s’étalent dans l’espace et rendent difficile le repérage, des zones d’immeubles et d’équipements qui changent l’échelle de la ville, des quartiers spontanés qui amplifient l’occupation de l’espace. Un littoral ou une rive découpée en anses successives : grandes plages s’étirant entre les Monts Fig. 381 : Plage de Montjoly Fig. 382 : Urbanisation résidentielle sur le Mont Bourda Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 128 Fig. 385 : Vue de l’échelle d’urbanisation depuis la Montagne Tigre Des points d’entrée limités : les carrefours Adélaïde Tablon et des Maringouins, ainsi que la route Tigre. VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane L’île monumentale Un littoral ou une rive découpée en anses successives : des estuaires formant deux grands méandres convexes fermés par la mangrove et dans lesquels s’implantent les zones portuaires du dégrad des Cannes et du Larivot. Une rive, un canal ou une zone marécageuse qui détermine une forme d’insularité : vaste territoire isolé par les estuaires, la rivière du Tour de l’île et les zones marécageuses qui délimitent par ailleurs des insularités internes. Une trame urbaine très distendue avec des tâches d’urbanisation résidentielle ou spontanée, présence de grandes zones d’activités avec une échelle de bâti plus imposante mais marquant de manière peu qualitative les entrées d’agglomération Des points d’entrée limités à trois ponts (un sur chaque cours d’eau) deux ports industriels et de pêche et l’aéroport de Rochambeau qui assure la liaison ombilicale avec la métropole. Fig. 389 : Aéroport de Rochambeau Des Monts boisés tabulaires constituant des repères monumentaux, le Grand Matoury et le Mahury, relayés par des monts moins importants (Mt Tigre, Paramana, Cabassou) Fig. 386 : Méandre du Mahury bordé d’une mangrove d’estuaire (au fond port du Dégrad des Cannes et table du Mahury) Fig. 388 : Vue aérienne de la tâche urbaine de Balata Fig. 390 : Vue du Grand Matoury depuis le port de Cayenne Fig. 387 : Estuaire du Mahury depuis le Dégrad des Cannes Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 129 VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane Fig. 391 : Carte de la sous-unité paysagère de l’île monumentale Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 130 VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane